Naissance des vertébrés
Voici quelques semaines, Vincent Fleury (Paris Diderot – CNRS) et Jean-Loup Duband (UPMC – CNRS) révélaient le mécanisme physique permettant de comprendre la formation des vertébrés. De la cellule au petit animal.
Interview du biophysicien Vincent Fleury.de l'université Paris Diderot. Depuis 10 ans, le chercheur travaille sur le mécanisme de formation des vertébrés ; Depuis cinq ans, il a recentré sa recherche sur ce moment précis où « l’animal apparaît » ; Depuis trois ans, il récolte données et images (films) pour mesurer ce phénomène et dont les résultats ont été publiés, le 12 février 2015, sur le site de la revue European Physical Journal E.
Dans le cadre de ces recherches, il a été aidé par Fabien Furfaro, stagiaire de 3e année de licence, et Nicolas Chevalier, post-doctorant, avec qui il a mis au point une machine pour mesurer les forces dans les embryons.
DiderotInfos : Quel est ce phénomène qui nous permet de passer de la cellule à un petit animal ?
Vincent Fleury : C’est un phénomène physique unique que nous révélons dans le cadre de ces travaux de recherche. Ce phénomène transforme un paquet de cellules rond, et plat, sans forcément de forme, en un petit animal complètement organisé. Je parle de l’enveloppe extérieure de l’animal, ainsi que de toute son organisation interne : la partie digestive, musculaire, nerveuse,… Cette transformation se fait dans un intervalle de temps très rapide (moins de deux jours pour l’embryon de poulet que nous étudions en laboratoire). Et pourtant, quand nous conceptualisons ce moment, il est unique, car l’embryon passe de l’état de paquet de cellules informe à l’état de petit animal, d’un coup.
DiderotInfos : Cette cellule, vous la qualifiez de rond, de disque, voire de confetti. Pouvez-vous nous la décrire ?
Vincent Fleury : Nous observons, en laboratoire, l’embryon de poulet, car il est le plus proche de celui de l’Homme. Comme lui, il est, au début, plat. Nous observons « de dessus et de dessous » le mouvement entre les cellules. Dans les films que nous avons réalisés en laboratoire, avec une grande résolution cellulaire, nous découvrons un organisme de principe dans lequel il y a des anneaux – comme des cernes d'arbre : un anneau plutôt nerveux, un autre musculaire, un autre digestif, un autre encore comprenant les organes extra-embryonnaires – le futur placenta (chez les humains, les oiseaux ont un sac vitellin),... C’est un disque fait d’anneaux collés les uns aux autres, avec une variation de tailles très régulière quand on passe d’un anneau à l’autre. Ce n’est pas un amas de cellules désorganisé. Avant d’être un animal organisé, l’animal est un disque organisé.
DiderotInfos : Vous être physicien, votre laboratoire se situe à l’interface de la physique et de la biologie. Est-ce ici un phénomène physique ou biologique ?
Vincent Fleury : Ce moment que je décris, où les animaux se forment, est à un stade très petit, très rapide et assez mou (sorte de gelée). Ce sont bien les propriétés physiques qui l’emportent ici. Ce sont les lois de la physique que nous appliquons pour comprendre ce moment précis du développement, comprendre ce qui fait passer d’un petit disque mou à l’animal complet. Plusieurs éléments nous l’indiquent : le premier se situe dans la forme régulière de ces anneaux. Alors que ces derniers correspondent à des futures fonctions bien distinctes (tête, cœur, tissus,…), ils présentent une régularité dans leur variation de taille. Il n’y a aucune raison biologique à cela, à moins de l’analyser d’un point de vue arithmétique. Est-ce la réminiscence des premières divisions et subdivisions cellulaires qui se propage de manière homogène ?
Deuxièmement, la taille des cellules à l’intérieur de l’anneau augmente régulièrement du centre vers sa périphérie : 5-10-15-20 micromètres de diamètre. Les cellules se sont divisées et subdivisées et ont donné cette chaîne de taille régulière, qui est une image des premières divisions. Cette régularité doit être étudiée du point de vue physique, et non génétique. Car encore une fois, il n'y a aucune raison biologique à cela, alors que la fonction des futurs organes dans les anneaux sera complètement différente.
Troisièmement, une forte traction s’exerce aux bords des anneaux. Les anneaux prennent d’abord une forme de plus en plus ovale, puis plient pour prendre des formes emboîtées associées aux futures fonctions (un tuyau de type nerveux, un tuyau digestif, musculaire,…). Les plis se situent toujours à la frontière entre anneaux. Les forces et propriétés mécaniques qui s’y exercent sont différentes, car la taille des cellules qui forment les anneaux – plus petites au centre, plus grosses au bord – est différente. Ce mécanisme n’est pas chimique ou génétique, il est gravé dans la structure du disque embryonnaire. Cela en fait un phénomène physique qui vient expliquer ce phénomène de pli.
Voilà ce que cette recherche apporte de nouveau. Ces résultats montrent qu’il existe un phénomène physique capable de transformer des anneaux concentriques mous en un petit têtard, d’un coup. Il suffit que d’un anneau à l’autre le tissu cellulaire soit plus rigide : ça plie à la frontière. La succession des plis fait l’animal.
DiderotInfos : Pourquoi est-ce important de comprendre cela ?
Vincent Fleury : Il y a 600 M d’années naissaient les premiers vertébrés. Pourtant, quand nous les observons, ils sont organisés. Darwin lui-même explique l’évolution des animaux à partir d’archétypes, des animaux « de base » déjà organisés. Comment ont-ils émergé au cours de l’évolution ? Il n’y a pas d’animal intermédiaire entre une masse ronde, et un petit animal organisé. Ces résultats fournissent un prototype pour tous les vertébrés, le premier étant une sorte de tube (l’enveloppe extérieure), ayant un tube sur le dos (nerveux) et un autre sous le ventre (digestif).
Ce projet a été financé par le Labex Who Am I?
et fait partie des investisements d'avenir