Isabelle Gallagher : curiosité, imagination et liberté
La directrice de l'UFR mathématiques de Paris Diderot, également chercheuse à l'Institut de mathématiques de Jussieu-Paris rive gauche, a décroché la médaille d'argent 2016 du CNRS. Félicitations !
Que représente pour vous cette distinction ?
Isabelle Gallagher : C'est un très grand honneur de recevoir cette médaille. Parmi les mathématiciens qui l'ont reçue par le passé, beaucoup sont des personnes que j'admire énormément, tant pour leurs travaux scientifiques que par leur influence et leur rayonnement. Par ailleurs même si cette distinction m'est accordée personnellement, mes travaux de recherche sont pour l'essentiel le fruit de collaborations et je voudrais remercier ici tous les collègues avec qui j'ai pu travailler, et en particulier ceux qui ont contribué à ma formation.
Cette médaille récompense un chercheur pour l'originalité, la qualité et l'importance de ses travaux. Pouvez-vous nous parler de vos travaux de recherche ?
Isabelle Gallagher : Actuellement l'essentiel de mes travaux de recherche, en collaboration avec Thierry Bodineau de l'Ecole polytechnique, et Laure Saint-Raymond de l'École Normale Supérieure à Paris est relié au "sixième problème de Hilbert", énoncé par David Hilbert au deuxième Congrès Mondial des Mathématiciens à Paris en 1900. Ce problème fait partie d'une liste de 23 questions de nature et de difficulté variées - certaines ont été résolues, d'autres ont perdu de leur intérêt, et d'autres comme le sixième demeurent des questions ouvertes difficiles et intéressantes !
La question est de comprendre et de justifier les différents niveaux de description que l'on peut faire d'un fluide (typiquement l'eau, ou un gaz comme l'atmosphère) de la description microscopique vers la description macroscopique : en quoi ces deux descriptions du même objet physique, qui du point de vue des équations sont très différentes, sont-elles réellement compatibles ?
Que diriez-vous à de futurs étudiants pour les inciter à faire des mathématiques ?
Isabelle Gallagher : Je dirais à un étudiant qui s'interroge sur la recherche fondamentale en général que c'est un domaine où la curiosité et l'imagination jouent des rôles primordiaux, où la liberté est immense. Ce que j'aime dans ce métier c'est aussi l'absence de hiérarchie entre collègues, de mon point de vue un doctorant est un mathématicien au même titre qu'un directeur de recherches ou un professeur, il connait simplement moins de choses... J'aime travailler en groupe de deux ou trois personnes, échanger des idées en sachant qu'une bonne idée est le plus souvent précédée par des dizaines de mauvaises.
Faire des mathématiques, ou de la recherche en général, c'est accepter de se tromper, de passer des heures à implémenter des idées infructueuses, et de temps en temps déboucher sur quelque chose de nouveau, et parfois de beau !
Et vous, qu'est ce qui vous a motivé dans ce choix ?
Isabelle Gallagher : Ce sont des rencontres tout au long de ma scolarité avec des enseignants passionnés, qui ont su me transmettre leur enthousiasme, qui ont été généreux de leur temps et de leurs idées, et qui m'ont progressivement amenée vers ce métier. J'ai eu la chance de faire ma thèse à une époque où il y avait des postes en quantité suffisante pour que je n'aie pas à remettre en question mon choix car j'ai été recrutée au CNRS dans la continuité immédiate de ma thèse. Aujourd'hui il est beaucoup plus rare pour un doctorant d'obtenir un poste permanent sans passer par quelques emplois précaires de type ATER ou post-doc, ce qui n'est pas forcément propice à une recherche sur le long terme.
Que vous apporte votre fonction de directrice d'UFR dans votre recherche et réciproquement ?
Isabelle Gallagher : L'organisation de l'enseignement et de la recherche font à mon sens partie intégrante du travail des enseignants-chercheurs. Il est bien sûr très important de ménager du temps pour la recherche, d'avoir des périodes de décharge totale de tâches administratives, voire d'enseignement, pour se consacrer intégralement à un travail de recherche. Mais il ne faut pas oublier que le bon fonctionnement d'une université repose avant tout sur l'implication des enseignants-chercheurs et des chercheurs, avec l'aide indispensable des collègues BIATS. J'ai eu la chance de connaître pendant ma carrière des périodes où j'avais beaucoup de temps pour la recherche : quelques années au CNRS en début de carrière, cinq ans à l'IUF, une délégation d'un an au CNRS à l'étranger. Il me paraît naturel de prendre à présent du temps pour une implication plus directe dans le fonctionnement quotidien de l'université.
La direction de l'UFR est plutôt chronophage, et me conduit à m'organiser différemment, à prioriser mes thèmes de recherche. En même temps, elle me permet d'avoir une connaissance plus précise des thématiques de recherche de mes collègues ce qui à terme pourrait créer des inflexions dans mes propres activités. Réciproquement je perçois moins nettement ce que ma recherche pourrait apporter à ma fonction de directrice d'UFR... si ce n'est que travaillant à l'interface des mathématiques fondamentales et appliquées, je peux peut-être comprendre davantage les problématiques variées associées aux thématiques d'enseignement et de recherche très différentes présentes dans l'UFR.